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Bakhen, quatrième prophète d’Amon, s’était prosterné devant Ramsès.
— Je n’ai aucune excuse, Majesté. Je suis le seul responsable de ce désastre.
— Quel désastre ?
— L’obélisque aurait pu être perdu, l’équipage décimé...
— Tes cauchemars sont vides de sens, Bakhen. Seule la réalité compte.
— Elle n’efface pas mon imprudence.
— Pourquoi l’as-tu commise ?
— Je désirais faire de Louxor le joyau de votre règne.
— Supposais-tu qu’un seul chef-d’œuvre me suffirait ? Relève-toi, Bakhen.
L’ex-instructeur militaire de Ramsès n’avait rien perdu de sa robustesse. Il ressemblait davantage à un athlète qu’à un prêtre ascétique.
— Tu as eu de la chance, Bakhen, et j’apprécie les hommes que le destin favorise. La magie d’un être ne consiste-t-elle pas à dévier les coups du sort ?
— Sans votre intervention...
— Tu es donc capable de provoquer la venue de Pharaon ! Bel exploit, en vérité, qui mérite d’être gravé dans les annales.
Bakhen redoutait qu’une terrible sanction ne succédât à ces paroles ironiques. Mais le regard perçant de Ramsès se détourna et s’orienta vers le chaland. Les manœuvres du déchargement s’effectuaient sans difficulté.
— Cet obélisque est splendide. Quand le second sera-t-il prêt ?
— Fin septembre, j’espère.
— Que les graveurs d’hiéroglyphes se hâtent !
— Dans les carrières d’Assouan, la chaleur est déjà très forte.
— Qui es-tu, Bakhen, un bâtisseur ou un geignard ? Rends-toi là-bas et veille à l’achèvement du travail. Les colosses ?
— Les tailleurs de pierre ont choisi un grès magnifique dans les carrières du Gebel Silsileh.
— Qu’ils se mettent à l’œuvre, eux aussi, et sans délai. Envoie un émissaire dès aujourd’hui et pars ensuite vérifier que les sculpteurs ne perdent pas une heure. Pourquoi la grande cour est-elle encore inachevée ?
— Il était impossible d’aller plus vite, Majesté !
— Tu te trompes, Bakhen. Pour construire un sanctuaire du ka, un lieu de repos offert à la puissance qui crée l’univers en permanence, il ne faut pas se comporter comme un modeste contremaître, hésitant sur la démarche à suivre et timide avec les matériaux. C’est le feu de la foudre qui doit projeter ta pensée dans la pierre et faire naître le temple. Tu t’es montré lent et paresseux : voici ta véritable faute.
Abasourdi, Bakhen était incapable de protester.
— Quand Louxor sera achevé, il produira du ka ; cette énergie m’est nécessaire, au plus vite. Mobilise les meilleurs artisans.
— Certains s’occupent de votre demeure d’éternité, dans la Vallée des Rois.
— Fais-les venir ici, ma tombe attendra. Tu te préoccuperas aussi d’une autre urgence : la création de mon temple des millions d’années, sur la rive ouest. Sa présence préservera le royaume de bien des malheurs.
— Vous voulez...
— Un édifice colossal, un sanctuaire si puissant que sa magie repoussera l’adversité. Demain, nous lui donnerons le jour.
— S’il y a Louxor, Majesté...
— Il y a aussi Pi-Ramsès, une ville entière. Mande les sculpteurs de toutes les provinces et ne garde que ceux dont la main a du génie.
— Majesté, les journées ne sont pas extensibles !
— Si le temps te manque, Bakhen, crée-le.